Accord de Washington : La paix à quel prix? ( Tribune de Jean-Marie Kabemba )

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Le 4 décembre n’est pas une simple date dans un agenda diplomatique.
C’est un basculement. Une ligne de crête.
Le moment où la RDC entre dans un accord qui peut devenir soit un levier de souveraineté, soit une faille dans la cuirasse nationale.

Le jour J n’est pas seulement celui de la signature : il est celui du discernement.
De la lucidité.
De la force intérieure d’un peuple qui refuse de confondre paix et abdication.

Et c’est dans cet esprit que je propose cette analyse — souveraine, lucide, républicaine — du texte final de l’Accord de Washington, comparé au pré-accord paraphé en juin par les ministres des Affaires étrangères.

I. Ce que l’accord maintient du 27 juin : un cadre général de paix

La version qui sera signée le 4 décembre reprend une grande partie du texte du Draft paraphé par les ministres des Affaires Étrangères le 27 juin :

• respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale ;
• interdiction de toute hostilité directe ou indirecte ;
• fin du soutien aux groupes armés ;
• reconnaissance du CONOPS du 31 octobre 2024 ;
• mécanisme conjoint de sécurité (JSCM) ;
• appui au processus de Doha ;
• soutien à la MONUSCO et à la résolution 2773 ;
• dispositions humanitaires sur les réfugiés.

Ce socle diplomatique est demeuré intact. Il constitue la base juridique minimale permettant à la RDC d’exiger :
• le retrait des forces rwandaises,
• la fin du soutien au M23/AFC,
• et la reconnaissance explicite de son intégrité territoriale.

II. Ce que l’accord final modifie : six évolutions majeures

1. Un traité permanent : stabilité ou camisole stratégique ?

Le texte final n’est plus un simple “draft” diplomatique. C’est un véritable traité international, régi par trois nouvelles clauses :
• une durée indéterminée,
• une clause de résiliation de 60 jours,
• la possibilité d’amender le traité.

Ces éléments redéfinissent profondément le rapport de force.

a) Une durée indéterminée : stabilité ou enfermement ?

Sur le papier, la durée illimitée donne une stabilité juridique.
Mais pour la RDC, elle comporte aussi un risque : être liée sans échéance de révision automatique à une architecture sécuritaire où Kigali pourrait chercher à se réinstaller durablement via le JSCM.

Un traité qui n’expire jamais peut devenir soit un pilier de paix, soit une camisole stratégique si les équilibres se renversent.

b) La résiliation en 60 jours : un levier souverain réel

C’est l’un des rares dispositifs qui jouent nettement en faveur de la RDC.
Si le Rwanda viole l’accord — soutien au M23, incursions, manipulation du JSCM — Kinshasa peut s’en retirer unilatéralement, avec un préavis court (60 jours).

Mais cela exige une diplomatie ferme pour éviter l’inversion du narratif international.

c) La possibilité d’amender : flexibilité sous condition

La RDC doit demander à corriger l’accord, notamment :
• si la coopération sécuritaire se transforme en cogestion de la sécurité nationale ;
• si les projets économiques deviennent asymétriques ;
• si Doha produit des pièges politiques.

Mais tout amendement dépend du consentement du Rwanda.

Quelle conclusion sur ces trois clauses :

La résiliation de 60 jours est un point fort. La possibilité d’amender est une soupape utile. mais la durée indéterminée impose une vigilance extrême : aucun traité sans fin n’est neutre.

2. Le rôle renforcé des États-Unis : du facilitateur au co-garant

La différence la plus stratégique entre le draft du 27 juin et la version finale qui sera signée le 4 décembre concerne le rôle des États unis .
En juin, Washington n’était qu’un accompagnateur.
Aujourd’hui , il devient un acteur central du dispositif.

a) Les États-Unis attestent officiellement le traité

Dans la version initiale, ils n’apparaissaient pas dans l’acte final.
Dans la version finale, une formule nouvelle surgit :
“ATTESTÉ PAR : Le Gouvernement des États-Unis d’Amérique.”

Ce n’est pas une signature, mais c’est plus qu’un appui moral :
c’est une entrée en scène stratégique.
Les USA deviennent garants de la crédibilité du traité et de la bonne foi des parties.

b) Les États-Unis deviennent observateurs permanents au JSCM

Dans le texte de juin, le JSCM fonctionnait sur un mode purement bilatéral, avec possibilité de consulter des tiers “si nécessaire”.

Dans la version finale :
les États-Unis (et le Qatar) deviennent observateurs permanents du JSCM.

Ils assistent aux réunions mensuelles, reçoivent les rapports, surveillent les échanges, voient les mouvements des forces.

Le JSCM cesse d’être un mécanisme RDC–Rwanda.
Il devient un espace sous supervision américaine.

c) Les États-Unis seront impliqués dans les audits économiques

Le texte final introduit pour la première fois :
• des mécanismes d’audit indépendant,
• la surveillance de la chaîne d’approvisionnement minière,
• la lutte contre les flux illicites.

Avec un rôle explicite pour les États-Unis comme partenaire technique.

C’est un basculement majeur :
Washington se positionne comme instance de vérification des flux miniers et financiers…… tout en exerçant une fonction d’audit et de contrôle stratégique.

d) Les États-Unis deviennent partenaires privilégiés des chaînes de valeur minières

Dans le texte du 27 juin, rien de tout cela n’existait.
Dans la version finale apparaît un paragraphe entièrement nouveau :

création de chaînes minières transparentes, de la mine au métal transformé, en partenariat avec les États-Unis.
C’est la traduction juridique du partenariat stratégique RDC–USA sur les minerais critiques.

En définitive, Washington passe d’un rôle de facilitation à une position de co-garant stratégique — politique, sécuritaire, économique et minier.
Une protection, mais aussi une influence déterminante.

3. Une reconfiguration totale du pilier économique

Nouveautés majeures :
• gestion conjointe du lac Kivu et de certains espaces ;
• projets hydroélectriques bilatéraux ;
• chaînes minières formalisées ;
• audits indépendants anticorruption.

Face à cette mainmise américaine, des garde-fous doivent être balisés :
audits publics, absence de cogestion, transformation locale, contrôle IGF & Cour des Comptes, traçabilité complète.

4. Doha et l’AFC/M23 explicitement intégrés dans l’accord

Comme je l’écrivais dans la Tribune n°49 : « La paix ne s’arrache pas en normalisant ceux qui ont incendié la maison. », ce point requiert une vigilance absolue.

5. Le JSCM final : risque accru de cogestion

• réunions alternées Kigali/Goma,
• échanges de renseignements,
• rapports mensuels.

Garde-fous nécessaires :
cloisonnement des renseignements, doctrine de confidentialité militaire, participation permanente de nos alliés régionaux.

6. Disparition de la SADC

La SADC a complètement disparu du mécanisme final.
Le triangle devient : USA – UA – Qatar.

III. Ce que mes tribunes annonçaient — et que l’accord confirme

1. Ma Tribune n°42 du 26 mai 2025 “Le retour du système AFDL par la fenêtre ?”

Je démontrais que l’agression rwandaise ne pouvait plus être niée.
Paul Kagame l’a avoué lui-même le 14 juillet 2025, à Kigali : « Nous contrôlons ce qui se passe à Goma et à Bukavu. »

2. Ma Tribune n°47 publiée le 22 juillet 2025 — Les conditions minimales d’une paix authentique

Je posais trois exigences :
• retrait vérifiable,
• fin du recyclage des criminels de guerre,
• restauration totale de la souveraineté.

L’accord ne les garantit que partiellement.

3. Ma Tribune n°49 publiée le 20 juin 2025 sur le risque de cogestion
« L’Est du Congo n’a pas besoin d’une tour de contrôle conjointe. »

Le JSCM final rend cette phrase encore plus actuelle.

IV. Un éveil souverainiste nécessaire

Par cette tribune, je voudrais appeler à un éveil souverainiste, fondé sur trois évidences :

1. Refuser toute négociation sous pression armée.
2. Refuser la normalisation des criminels de guerre.
3. Inviter chaque acteur politique à replacer la souveraineté de la RDC au cœur de ses choix.

Conclusion : l’intérêt de la RDC et les risques

Pour nous, l’intérêt de la RDC est évident :
Mettre fin à la capacité de nuisance du Rwanda, mettre fin à la guerre par procuration, encadrer Doha, assainir les flux miniers, et renforcer nos revendications territoriales sous un traité attesté par les États-Unis.

Mais l’accord n’est qu’un début.
Les mêmes articles qui nous protègent peuvent devenir des instruments de pression.
Les mêmes mécanismes qui nous sécurisent peuvent devenir des plateformes de surveillance.
Les mêmes partenaires qui nous appuient peuvent orienter notre souveraineté.

Notre intérêt, c’est la vigilance.
Notre risque, c’est la naïveté.
Notre ligne rouge, c’est l’intégrité de la nation.

Cet accord n’est ni une victoire, ni une défaite :
c’est un test — un test de maturité politique, de cohésion nationale et de souveraineté.

Et si nous le réussissons, alors oui :
le 4 décembre restera comme le jour où le Congo a repris la main sur son destin.

 

Jean-Marie Kabemba Président du LRC
(Les Républicains Chrétiens)

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